Le titre-restaurant, véritable monnaie dans le secteur de la restauration, a connu depuis sa création en 1967 un énorme succès. Plus de 4 millions de salariés en bénéficient.
Communément intégré au pouvoir d’achat avec des modalités d’utilisation récemment simplifiées, la crise Covid vient mettre un effet de loupe sur les conditions de travail des salariés en télétravail.
Considéré comme un avantage en nature au plan légal le titre-restaurant se mue en véritable privilège pour les salariés en télétravail. Pour eux l’employeur peut décider de leur supprimer l’attribution si leurs collègues n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise.
Telle est la solution qu’a adoptée le tribunal judiciaire de Nanterre le 10 mars 2021 en estimant sur le fondement de l’article 4 de l’ANI du 19 juillet 2005 que les salariés ne sont pas dans des conditions de travail équivalentes à celles de leurs collègues qui se rendent à leurs bureaux.
L’intérêt de cette décision est de constituer une première jurisprudence en la matière et de forger progressivement le nouveau droit du télétravail !
En dessous de 50 salariés, l’employeur n’a pas l’obligation de mettre à la disposition de ses salariés un local de restauration.
Dans les grandes villes, nombreux sont les salariés à avoir accès à un restaurant d’entreprise ou inter-entreprises. Souvent, ces mêmes salariés bénéficient aussi de tickets-restaurant.
Prenant son origine dans le ticket de rationnement, puis emprunté au modèle britannique, le ticket-restaurant nait en France avec l’ordonnance Pompidou de 1967.
Sa vocation première étant de servir de monnaie il ne faut donc pas s’étonner si le titre-restaurant est devenu au fil des ans une confluence grandissante d’enjeux stratégiques.
Avantage en nature pour la sécurité sociale, niche d’exonérations fiscales et sociales, la crise COVID avec son effet assuré de loupe renforce son statut d’outil économique capable de cliver les salariés en télétravail et ceux présents dans les locaux de l’entreprise.
Au plan légal, le titre-restaurant est incontestablement un avantage consenti par l’employeur car il ne résulte d’aucune obligation légale.
La loi se contente de le définir à l’article L3262-1 du Code du travail comme « un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d’une personne ou organisme mentionné […). »
En tout état de cause, le repas du salarié ainsi pris en charge doit être compris dans son horaire de travail journalier.
Ainsi, en bénéficiant de tickets-restaurant, le salarié fait financer par son employeur le surcoût lié à sa restauration hors de son domicile ; étant acquis que le salarié ne peut rentrer se restaurer chez lui !
Au fil des années, le titre-restaurant conçu dès son origine comme une véritable monnaie a définitivement pris place dans le pouvoir d’achat des salariés.
Mais est-il l’apanage des salariés contraints de prendre leur repas à l’extérieur de leur domicile ?
Un salarié en télétravail a-t-il droit aux titres-restaurant ?
L’employeur peut-il refuser voir supprimer ce sésame en période de restaurants fermés ?
Le Tribunal judiciaire de Nanterre fournit beaucoup de réponses dans sa décision rendue le 10 mars 2021.
L’affaire se déroule au sein du groupe Malakoff Humanis.
Avec l’état d’urgence sanitaire lié à la pandémie du coronavirus tous les salariés de ce groupe alors placés en télétravail dès le 17 mars 2020 se sont vus supprimer leurs titres-restaurant.
Représentés par une Fédération de syndicats (UNSA, FESSAD), les salariés revendiquaient leurs titres-restaurant en affirmant avoir les mêmes droits en télétravail qu’en présentiel.
Mais, en réplique, leur direction leur soutenait que le maintien du titre-restaurant ne se justifiait plus puisqu’ils pouvaient à nouveau prendre leur repas à leur domicile.
Soulignons que le groupe Malakoff-Médéric n’étant doté d’aucun restaurant d’entreprise ni restaurant inter-entreprises a décidé d’attribuer des titres-restaurant pour pallier toute autre offre de restauration collective.
Espérant obtenir gain de cause, les salariés s’appuyaient sur l’argument juridique très puissant de l’égalité de droit entre salariés en télétravail et les autres salariés.
Le Code du travail énonce d’ailleurs expressément à son article L1222-9 que « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ».
Les juges de Nanterre ont respecté ce principe fondamental et constitutionnel d’égalité entre les travailleurs en se livrant à une comparaison des conditions de travail de ces 2 types de salariés.
Pour eux, les salariés qui travaillent en présentiel sans accès à un restaurant d’entreprise ne sont pas dans la même situation que leurs collègues placés en télétravail à leur domicile.
Ainsi pour les juges, les salariés en télétravail ne peuvent revendiquer un surcout de restauration, comparés à leurs collègues obligés de se restaurer à proximité des locaux de l’entreprise, faute de pouvoir accéder à un restaurant d’entreprise.
Rappelons que cette position est d’ailleurs parfaitement conforme à l’article 4 de l’ANI* relatif au télétravail du 19 juillet 2005 qui dispose que : « les travailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable, travaillant dans les locaux de l’entreprise. »
Indéniablement, les conditions de travail des salariés en télétravail ne sont pas équivalentes à celles de leurs collègues sur site lorsque ceux-ci n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise ou inter-entreprises.
En effet, a contrario, lorsque les salariés disposent d’un restaurant d’entreprise, l’attribution par l’employeur de tickets-restaurants ne saurait alors plus opérer de distinction entre salariés en télétravail et salariés en présentiel.
Lorsque l’entreprise organise une offre de restauration collective en permettant l’accès de ses salariés à un restaurant d’entreprise et qu’elle attribue en outre des tickets-restaurant, alors tous les salariés doivent en bénéficier, qu’ils soient en présentiel ou placés en télétravail.
En effet, faire bénéficier de tickets-restaurant, les seuls salariés sur site constituerait une rupture d’égalité avec les télétravailleurs.
En conclusion le titre-restaurant qui demeure toujours pour l’employeur une simple faculté peut être supprimé-sous réserve de respecter un certain formalisme – aux salariés en télétravail, lorsque leurs collègues ne peuvent se rendre à un restaurant d’entreprise à proximité de leurs bureaux.
- ANI : accord national interprofessionnel du 19/07/02005 relatif au télétravail, modifié par l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail